Document Nicole Delépine - 2007
Voir la version PDF de cette publication :
Prescription sous influence. Représentation sociale de la mort et drogues miracles en cancérologie
Nicole Delepine
Prescription sous influence. Représentation sociale de la mort et "drogues miracles" en cancérologie.
A quel prix social, psychologique et financier ?
Vivre avec le cancer
C'est vivre avec la mort en tête, avec un corps douloureux détérioré dans une société de l'immédiateté qui privilégie l'apparence, la mise en scène du corps comme marqueur de notre identité.
Situation d'autant plus douloureuse que le sujet est jeune engagé dans la modernité avancée sans avoir eu le temps d'avoir pris ses distances avec ces nouvelles valeurs et cette nouvelle normativité.
Dans ce contexte, le médicament occupe une place prépondérante
Il devient le rempart contre le cancer contre la rechute. Il est l'assurance d'un contrôle ou au moins d'une certaine prise contre la maladie "Les médicaments, c'est la vie" selon certains patients.
Comme dirait cette vieille femme en priant Dieu : "si j'osais je vous appellerais docteur".
Conséquences
On passe des traitements utiles difficiles mais indispensables pour donner toutes les chances de guérison ou de stabilisation possibles à une "foi", une croyance indéfectible en "le nouveau médicament" le patient devient la proie de toutes les publicités pour le moins anticipées de la drogue qui va les sauver.
d'où fuite en avant dans nos sociétés comme un TGV qu'il va bien falloir arrêter. Parfois même un renoncement à un traitement démontré pour avoir "droit" au nouveau médicament qui a bénéficié d'une publicité médiatique majeure.
Le médicament devient support de la souffrance physique mais aussi morale
Quelque soit son impact réel sur le cancer dont le patient est atteint présenté comme le médicament "miracle", "révolutionnaire", dans les médias bien avant d'avoir fait les preuves de son efficacité et de son innocuité au moins relative.
Rapport au temps du patient cancéreux
Le médicament devient le moyen d'échapper pour un moment à ce rapport au temps inflexible qui vous rapproche de la mort, ce temps menace mais défi, temps sursis.
Le rapport au médicament du sujet cancéreux rappelle par bien des égards le rapport des personnes âgées au médicament à l'approche de l'inéluctable.
La responsabilité des médias et de ceux qui les informent est à souligner.
Information, publicité, intoxication, escroquerie ?
Une dépêche officielle -juin 07- en provenance de Chicago où se tient la grand messe annuelle de la cancérologie mondiale annonce sans hésitation :
"Roche: Avastin double la survie des malades atteints de cancer rénal avancé".
Chicago (AWP/afx) :
"- Avastin, traitement révolutionnaire du cancer qui s'est déjà avéré efficace pour prolonger la vie de malades souffrant d'un cancer avancé du colon et du poumon."
"...a permis de doubler celle de patients atteints de graves tumeurs rénales, selon une étude publiée samedi".
Avastin, nom générique bévacizumab
Anticancéreux "unique" (?)
Agit en privant la tumeur de l'apport de sang nécessaire pour se développer et se disséminer dans l'organisme.
Ce fût le premier médicament à cibler cette fonction du cancer, pourtant la thalidomide, l'avastin du pauvre... qui bizarrement disparaît des pharmacies à la même époque...
Essai clinique 649 patients
Les sujets du groupe traité avec de l'Avastin en plus de leur chimiothérapie standard
ont vécu 10,2 mois après le diagnostic comparativement à 5,4 mois pour ceux n'ayant pas pris ce médicament.
Commercialisé aux Etats-Unis par la firme américaine Genentech et le laboratoire suisse Roche en Europe.
Commentaires
"Nous sommes dans une période très encourageante pour la recherche sur le cancer du rein alors que nombre de nouvelles thérapies existent désormais." a souligné le Dr Bernard Escudier, chef du département d'immunothérapie à l'Institut Gustave Roussy en France, principal auteur de cette recherche présentée à la 43e conférence annuelle de l'American Society of clinical oncology réunie ce week-end à Chicago (Illinois, nord).
afx/rp/ds.
La représentation de la maladie à travers les publicités pour médicaments son impact psychologique sur le patient et son entourage
Les conséquences psychologiques de ces publicités peuvent s'évaluer en surfant sur les forums d'internet.
A titre d'exemple, un forum sur l'avastin, nouvelle drogue anti-angiogenèse, réputé "médicament miracle". Type d'échanges qu'on pourrait probablement retrouver pour d'autres drogues bénéficiant de la même publicité sur toutes les ondes particulièrement au moment des grands congrès de cancérologie.
Forum spécialisé sur l'avastin drogue miracle, révolutionnaire, etc... Les termes sont choisis. Avastin... Il a envahit mes jours et mes nuits pendant de longs mois... mon papou l'attendait avec impatience car pour lui il n'y avait plus que ça!! Il est parti avant de l'avoir eu mais ces lettres: AVASTIN sont pour moi porteuse d'espoir en espérant que pour toi ce soit la guérison au bout.
Forum "Avastin est il prescrit en France ?"
[69715] posté le 06/02/2007 06:31:00
"Il nous a parlé d'une nouvelle molécule "révolutionnaire" l'avastin mais nous dit qu'elle ne peut en bénéficier car ce traitement n'est pas pris en charge par la sécurité sociale pour les cancers du sein et son coût extrêmement élevé 1600 euros tous les 15 jours.
Il nous dit que c'est un traitement qui marche on le sait mais que c'est uniquement un problème économique. C'est un discours insupportable pour un patient et son entourage".
Un autre plus raisonnable, mais on imagine la pensée du mail auquel elle répond:
"C'est vrai Y. Je suis d'accord avec Dom, ne pense pas qu'Avastin était ton dernier espoir. Je ne connais pas ton parcours mais ne te décourage pas s'il te plait et attends de voir ce que ton oncologue va te proposer."
Autre exemple :
Pour reinette [62469] posté le 16/11/2006 08:45:00 par I "Comme tu n'as pas de réponse, je te transmets une information un peu vague mais qui va sans doute t'intéresser! Ma copine W qui va mal a commencé un traitement au Caelyx ; devant son insistance pour avoir l'Avastin, son onco lui propose de participer à une étude clinique. C'est ici le même principe qu'en France : double aveugle, et accepter de courir le risque d'un médicament mal connu encore pour le cancer du sein."
"Laure le reçoit à Genève avec un grand succès. Je vais sur un site bilingue suisse où un témoignage parle de régression miraculeuse, un autre de complète stabilisation des métas...
Voilà mon avis, c'est ce que je ferais si je récidivais, commencer directement Avastin avec chimio.
L. te répondra très sûrement, elle a beaucoup aidé W par ses témoignages et j'espère personnellement que ma copine va se décider à tenter !! Alors moi je dirais: FONCE! Tiens bon !"
Et il y en a 144 comme cela sur un seul forum...
Le médecin n'est plus le prescripteur mais l'outil d'une prescription irrationnelle, trop précoce et inadaptée des médicaments vedettes
Ce n'est plus le médecin qui décide du meilleur traitement pour son patient en fonction des données connues et des meilleurs traitements mais le malade qui prie, supplie son oncologue qui au bout d'un moment ne peut plus lui refuser ce nouveau médicament miracle faute de le démoraliser et du coup de le déprimer, lui faire perdre ses espoirs.
Alors il cède... Et comment faire autrement. Mais est-ce encore de la médecine ou de l'irrationnel manipulé par les médias et ceux qui les renseignent. Est-ce encore de la science ?
Efficacité réelle de l'Avastin Qu'en est-il ?
La drogue dite révolutionnaire double la durée de survie de 5 mois à 10 mois du cancer rénal avancé comme le précise sans humour ni complexe la dépêche officielle.
Est-ce là ce qu'on attend d'un médicament révolutionnaire ?
Ce qui ne veut pas dire que ce médicament n'a aucun intérêt mais seulement qu'on le présente au grand public de façon fallacieuse.
Les résultats dans le cancer du colon métastatique
La méta analyse à partir des principales bases de données de la littérature internationale de l'intérêt de l'Avastin dans le cancer du colon métastatique.
Publié :
"health technol assess 2007 mar ; 11(12) :1-146 (par Tappenden P and coll, university de Sheffield, Angleterre)".
En ajoutant Avastin à l'association irinotecan+5 FU et acide folique :
- augmentation significative de la survie globale médiane de 4.7 mois,
- augmentation significative des effets secondaires.
La même étude est faite avec un autre antiangiogenèse (cetuximab) avec des résultats comparables en gain de survie.
L'article conclue que si on démontre bien statistiquement un gain de survie moyenne de l'ordre de quelques mois ces résultats sont marginaux, pas forcément supérieurs à la survie avec des soins de support au top et l'association Oxaliplatine - 5FU.
Le gain en qualité de vie est pour le moins modeste
Le coût efficacité paraît prohibitif (100 000 euros environ par qualy gagné - qualy : nombre d'années gagné pondéré par la qualité de vie).
L'article conclue que des recherches ultérieures apparaissent indispensables pour déterminer l'impact réel de ces thérapies dans le cancer colique métastatique !
Les résultats dans le cancer du sein
Selon une revue générale du sujet publiée ans "Breast Cancer vo14 n°2 april 2007) par Hiroko Bando (Japon, Tsukuba)".
Une première phase 2 avait montré dans le cancer du sein un taux de réponse de 9.3% et une médiane de rémission de 8,4 mois.
Il conclue son article en disant que ce type de molécule ne constitue pas le traitement standard du cancer du sein métastatique.
Que d'autres études sont nécessaires pour comprendre le mécanisme de résistance aux drogues type avastin.
Des marqueurs doivent être recherchées pour savoir quelles tumeurs seraient sensibles pour guider la sélection des patients sensibles.
Les effets secondaires non négligeables de fréquence encore inconnus
Renseignements importants en matière d'innocuité approuvés par Santé Canada concernant Avastin (bevacizumab) :
"Les points suivants sont fondés sur l'examen des rapports post-commercialisation et des essais cliniques :
De rares cas d'encéphalopathie hypertensive ont été signalés chez les patients recevant l'AVASTIN.
Si un tel cas se présente, il faut arrêter l'AVASTIN de façon permanente.
"On a signalé, quoique rarement, le cas de patients recevant l'AVASTIN qui ont présenté des signes et symptômes évocateurs d'un syndrome de leuco-encéphalopathie postérieure réversible.
Une affection neurologique rare qui peut être associée, notamment, aux signes et symptômes suivants: crises épileptiques, céphalées, altération de l'état mental, troubles visuels ou cécité corticale, avec ou sans hypertension associée."
"Ce syndrome peut être réversible s'il est reconnu et traité rapidement.
Chez les patients qui présentent un tel syndrome on recommande un traitement des symptômes spécifiques, y compris la maîtrise de l'hypertension, ainsi que l'arrêt de l'AVASTIN".
WARNINGS: Gastrointestinal Perforations AVASTIN administration can result in the development of gastrointestinal perforation, in some instances resulting in fatality. Gastrointestinal perforation, sometimes associated with intra-abdominal abscess, occurred throughout treatment with AVASTIN (i.e., was not correlated to duration of exposure). The incidence of gastrointestinal perforation (gastrointestinal perforation, fistula formation, and/or intra-abdominal abscess) in patients with colorectal cancer and in patients with non-small cell lung cancer (NSCLC) receiving AVASTIN was 2.4% and 0.9%, respectively.
Les refus contestés sur les remboursements refusés de l'avastin en Belgique sont justifiés à la chambre des représentants
"(Question n°416) Une décision négative a été prise parce que le médicament a été considéré comme n'ayant pas un rapport coût / efficacité adéquat.
L'élément qui pose problème n'est pas l'efficacité mais le coût disproportionné par rapport au service médical rendu."
Impact Financier
Une "arnaque" dénoncée dans un article dont le titre a le mérite d'être clair :
"the fleecing of cancer patients" qu'on peut traduire par l'arnaque des patients atteints de cancer.
Le 6 mars 2006 sur polyscience.org commentant un article paru dans le new york times le 15 févier 2006.
La ligne jaune est franchie dit-il de l'éthique aux simples profits, d'autant que ces médicaments comme l'Avastin ou le Tarceva ne guérissent pas le cancer mais simplement prolongent la vie (de quelques mois).
"Be disturbed, doctor. Take the blinders off and look around you and see what's going on here. It's called fleecing"conclue-t-il !
Enlevez vos oeillères regardez ce qu'il se passe autour de vous ! Une ARNAQUE !
Pour Philippe Pignarre, l'industrie pharmaceutique ne pouvant plus espérer augmenter la durée de vie de ses brevets :
"il ne lui reste plus qu'à se battre pour une augmentation considérable de ses prix, sans pouvoir la justifier par des avantages thérapeutiques majeurs."
La tâche s'avère difficile car aucun système d'assurance maladie privé comme aux Etats-Unis ou public comme en Europe ne pourra survivre longtemps à l'augmentation des coûts qui nous sont annoncés pour les nouveaux médicaments.
Un nouvel anticancéreux a été mis sur le marché américain en mars 2004 au prix de 40 000 dollars par mois. Il allonge la durée de vie moyenne des patients de cinq mois.
Aux Etats-Unis, le coût du traitement médicamenteux du cancer du colon est passé de 500 dollars en 1999 à 250 000 en 2004, soit un chiffre multiplié par 500.
Le prix des médicaments déjà sur le marché augmente trois fois plus vite que l'inflation.
En 2004, Abott a multiplié par cinq celui fixé pour le Norvir son médicament contre le sida. Et d'autres suivent cette tendance inquiétante.
La grande bataille à venir est donc celle des prix.
"La plupart des observateurs américains sont clairs :
- soit les Etats-Unis réussiront à imposer une liberté de tarifs pour les médicaments dans tous les pays du monde au risque de faire exploser tous les systèmes d'assurance maladie.
- soit ils devront eux aussi se mettre à contrôler les prix."
"La plus grande vigilance s'impose donc sur les mesures actuelles entreprises par les industriels pour pouvoir fixer librement leurs prix mais aussi sur les largesses dont les gratifie un ministère de la Santé jugé parfois trop complaisant."
Entre 1990 et 2001 la dépense en médicaments a augmenté de 63% en France contre 17% en Allemagne et 28% en Italie et rien ne laisse présager d'une diminution.
La dépendance voire l'addiction vis à vis des médicaments des Français couplée à une publicité de plus en plus autorisée et débridée conduit à une dérive parfois irrationnelle de la prescription médicamenteuse y compris dans les pathologies graves comme le cancer sans parler du coût invraisemblable des drogues dites miracles.
Une réflexion sociale interdisciplinaire s'impose pour en première urgence obtenir des prix décents de ces thérapeutiques innovantes. Prix qui ne mettent pas en péril les systèmes d'assurance maladie pour revenir à des prescriptions adaptées, raisonnées et médicales, sans influence majeure des patients manipulés par une information distordue.
Le risque in fine étant double, la faillite sociale du système de protection sociale des pertes de chance de survie si on écarte les traitements connus pour des traitements encore expérimentaux.
L'éthique médicale est-elle soluble dans la jungle des lobbies pharmaceutiques ?