Textes de réflexion : Hormone de croissance synthétique

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Publication Nicole Delépine - 2015
Hormone de croissance synthétique
Nicole Delépine

Hormone de croissance synthétique


L'usage de l'hormone de croissance synthétique1 chez les enfants de petite taille prévisible est-il justifié et dépourvu de danger ?



Applique-t-on à ce médicament le principe de bénéfice-risque de façon optimale ? Le consentement clair et éclairé des familles comme le postule tant le code de Nuremberg que la loi Huriet est-il réellement exigé ?



Après le drame de l'hormone de croissance d'extraction humaine contaminée aboutissant à la mort de centaines d'enfants ayant reçu ce médicament tueur par dégénérescence cérébrale2 et à l'heure où ressort la polémique sur les médicaments coûteux, dangereux et pourtant autorisés3, il importe de se pencher sur le cas de l'hormone synthétique qui l'a remplacée depuis les années 85.

Elle a naturellement quelques indications exceptionnelles et indiscutables dans les nanismes graves malgré ses risques, mais est utilisée aussi et sûrement trop souvent pour des enfants de petite taille constitutionnelle familiale tout à fait supportables et « normales ». Les parents ont-ils été informés des risques potentiels de la drogue ? le consentement a-t-il été véritablement éclairé comme la loi l'exige pesant avantages potentiels et risques réels ?

Nous avions trop rencontré dans les années 70-80 d'enfants « petits » certes mais de croissance régulière « normale » et fabriquant leur propre GH à des valeurs normales, mais soumis à une pression forte des PMI pour aller voir « le spécialiste » et être mis sous traitement par cette fameuse HGH humaine qui donnera les drames qu'on connait. Rabattage bien organisé. On était déjà dans le début de la marchandisation rampante de la médecine.

D'autres pour les mêmes raisons, avaient été soumis à des traitements par androgènes (hormone mâle ) et certains furent victimes de cancer du foie. Le mieux est l'ennemi du bien et il ne faut traiter que les maladies, les vraies, et ne pas céder à cette sur médicalisation qui entraine tant de désastres depuis plusieurs décennies.

Responsables mais pas coupables, les familles pleurent leurs enfants...les décideurs poursuivis jamais condamnés. Double peine.

Le même scénario allait-il se reproduire avec la molécule de synthèse insoupçonnable et parfaite de principe que l'on prescrit largement à tous les futurs « petits » par nature ou après un traitement pour cancer par radiothérapie. Trop d'adultes s'en gavent pour rester « jeunes ».

En tant qu'oncologue je fus régulièrement amenée à suivre les enfants guéris de tumeur cérébrale au prix d'une irradiation qui avait entamé leur possibilité de croissance en lésant la glande hypophyse qui fabrique cette fameuse hormone de croissance.

Nous avons dû peser avec mes collègues et la famille le fameux bénéfice-risque d'un traitement par GH visant à compenser le manque. Au fil des années et contrairement aux assertions doctorales assénées de haut par les « grands professeurs » de l'époque, l'innocuité de ce nouveau traitement synthétique depuis les années 85 n'étant pas démontrée4 et la survenue de récidives potentielles puis avérées,un peu plus fréquentes ou de seconds cancers chez les enfants guéris,nous a conduit à beaucoup de circonspection avant de donner notre accord. Cette prudence ne fut pas toujours suivie tant est prégnante chez les patients, la « voix » sans nuance du professeur qui a affirmé « aucun danger » et pourquoi pas évoqué le recours au juge chez ces parents insoumis (pour quelques cm ?). Le collègue, professeur également titré, qui émet des hypothèses différentes et multiples est souvent considéré comme « celui qui ne sait pas, n'est pas sûr de lui » non seulement par les familles mais trop souvent par les étudiants en médecine...Pourtant le doute est source de sagesse...

Surtout comme toujours en médecine, il faut sortir des dogmes et du systématique, ce que la pratique actuelle des « recommandations nationales » ne favorise pas. Chaque cas est différent et une perte de quelques cm pour la taille adulte, dans une famille de taille habituelle petite ou moyenne ne justifiera pas les risques d'un traitement au long cours entrainant consultations multiples, surveillance quotidienne et transformation d'un enfant en « malade chronique ».

Au contraire un pronostic de taille très faible difficilement compatible avec le regard des autres dans une société malade de la norme, de l'apparence et du beau justifiera probablement la prise de risque connu faible mais inconnu à long terme. Et puis il faut bien faire tourner la machine emballée de la médicalisation à outrance et du commerce. La pression sur les familles reste intense en 2014.


Qu'en est-il des dangers connus en 2015 ?

Passons rapidement sur les effets indésirables biologiques : hyperglycémie (taux élevé de sucre dans le sang) et possibilité de diminution des hormones thyroïdiennes et corticotropes, augmentation des taux sanguins d' acides gras et phosphatases alcalines.

Mais les dangers principaux sont de deux ordres, une mortalité prématurée globale rapportée chez les enfants traités (en excluant les cancéreux pour clarté d'interprétation ) et chez les enfants cancéreux un risque de récidive et de second cancer plus élevés.


GH et cancer

On sait tous maintenant que l'hormone de croissance et le facteur de croissance insuline-like 1 (IGF1) son effecteur ont des activités favorables à la croissance des tumeurs (dites mitogènes et anti-apoptose) qui devraient favoriser la naissance et le développement tumoral et d'emblée nous rendre vigilants devant ce type de traitement.

Effectivement des taux élevés d'IGF1, médiateur de GH sont associés avec un risque de cancer plus élevé5. Des récepteurs à l'hormone de croissance sont détectés sur des globules blancs normaux et des études pratiqués in vitro6 ont démontrées que GH peut causer la transformation de cellules normales en cellules malignes et la prolifération de cellules leucémiques.

La meilleure preuve de ce potentiel carcinogénique de GH est que des antagonistes de l'hormone de croissance et anti IGF1 sont utilisés comme anticancéreux actuellement (avec plus ou moins de bonheur mais basés sur une logique métabolique). Il est clair que l'apparition de tumeurs cliniquement décelables nécessite de longues années voire de longues décennies et que le bilan actuel des conséquences néfastes potentielles de ce traitement par GH est probablement réducteur et ne doit en aucun cas être considéré comme définitif.

Il est aussi évident que l'interprétation des résultats épidémiologiques peut être modifiée par la volonté farouche d'innocenter le médicament (à des fins commerciales ) et que les associations « traitement-cancer » rencontrées peuvent être identifiées comme « fortuites » La littérature reste difficile à analyser et on doit se souvenir de la fréquence tout à fait inhabituelle de cancers de l'enfant sur un ancien site Kodak de Vincennes près de Paris, fréquence considérée comme sans lien... Circulez il n'y a rien à voir !

Chez l'animal il a été démontré que l'usage de doses supra-physiologiques de GH entraine la survenue de cancers et que l'hypophysectomie7 protège l'animal des cancers habituellement induits expérimentalement par des carcinogènes.

Stuart en 20048 avait déjà attiré l'attention sur le risque de cancer chez les enfants traités par GH. Il évoquait le risque plus élevé de leucémies chez des enfants à risque et ne mettait encore en évidence que le risque de cancer du colon plus élevé chez les patients cancéreux traités par GH. Dix ans plus tard ce risque plus élevé de seconds cancers est supposé plus général quoique faible. En matière de facteurs de risque il faut des décennies : les cancers liés à l'amiante ont mis cinquante ans à exploser bien qu'on connût le risque théorique.

De fait la littérature internationale est encore plus difficile à interpréter chez les enfants antérieurement malades du cancer, à risque de rechutes ou de deuxième cancer indépendamment du traitement de GH. Le risque propre lié à GH est difficile à individualiser et risque d'être sous-estimé.

En conclusion, si le risque démontré d'augmentation du risque de cancer chez l'enfant traité par GH est faible (alors qu'il était considéré comme nul dans les années 2000 ), il ne doit pas être évacué d'un trait de plume d'autant qu'on sait maintenant que le couple GH et IGF1 son effecteur fournit un environnement9 favorable au développement de cancers.


GH et mortalité dans la population générale

L'étude de Carel et al10 publiée en 2010 sur une population d'enfants traités par GH synthétique de 1985 à 1996 rapporte des taux de mortalité plus élevés chez les enfants traités. Cette augmentation de mortalité serait due à l'apparition de tumeurs osseuses et d' hémorragies cérébrales mais sans augmentation de tous les types de cancer. Les premiers résultats indiquent un risque de surmortalité toutes causes confondues par rapport à la population générale (93 décès constatés dans cette cohorte contre 70 estimés dans une population de référence en France).

En 2010 l'agence du médicament11 alerte sur ces premiers résultats de l'étude épidémiologique sur la tolérance à long terme de l' étude SAGHE « Santé Adulte GH Enfant ».12 « Les analyses réalisées dans la population de patients traités pour un retard de croissance montrent une surmortalité par rapport à celle observée dans la population générale. Le risque augmente chez les patients ayant reçu de fortes doses, au-delà de celles autorisées dans les autorisations de mise sur le marché (AMM) ».
L'Agence saisit alors l'Agence Européenne (EMA) puisque la plupart des médicaments concernés relèvent de procédures européennes. Dans l'attente du résultat de l'évaluation européenne, l'agence recommande, par mesure de précaution, de réserver le traitement par GH synthétique aux enfants pour lesquels le bénéfice escompté du traitement est grand... (information communiquée aux associations de patients ).

En aout 2014 des données complémentaires de l'étude SAGhE, sont publiées. Les résultats d'une étude similaire sur des données européennes (SAGhE EU) seront disponibles ultérieurement !
L'agence met à jour son alerte et la confirme : « les premiers résultats de l'étude SAGhE France, publiés au début de l'année 2012 et qui concernaient une cohorte d'environ 7000 patients avec une petite taille ou un déficit idiopathique en GH, montrent une augmentation du risque de mortalité par rapport à la population française de même âge et de même sexe indemne de pathologie et ne recevant pas d'hormone de croissance. Cette augmentation porte sur la mortalité globale, toutes causes confondues et celle liée à certaines causes spécifiques, en particulier cardio-vasculaires. Une augmentation du risque d'hémorragies cérébrales a récemment été décrite, sur la même cohorte suivie pendant 17 ans.
Ce risque aux conséquences potentiellement graves reste cependant rare dans cette population ».

L'agence alerte depuis 2010, ré-alerte en 2014 et rembourse à 100 % et attend les conclusions d'une autre étude européenne... Comment les patients peuvent-ils imaginer que le médicament est dangereux si remboursé à 100 % dans toutes les indications même les plus discutables ! L'agence continue à rembourser les différentes présentations à 100 % tout en soulignant le bénéfice limité et les dangers... y compris dans les indications de petite taille simple... et le doute sur la surmortalité possible...13


ET LE PRINCIPE DE PRECAUTION ?

Pourtant la raison doit conduire à réserver ce traitement à des indications indiscutables comme le pronostic de nanisme vrai à l'âge adulte. Des prescriptions de « confort » visant à gagner quelques cm doivent être proscrites et de toute façon jamais décidées sans un consentement véritablement éclairé de la famille insistant sur les inconnues à long terme qui pèsent sur ces nouvelles molécules de synthèse et en particulier la GH. Il faudra un recul de nombreuses décennies pour véritablement évaluer le bénéfice-risque.

Quant à la prise sauvage d'hormone de croissance de « jouvence » elle est à risques de cancer et pas seulement !... à éviter !!!





1- Dite HGH ou human growth hormone ou encore GH
2- « ils ont tué deux fois mon fils « par jeanne Gorian ed Bourin Editeurs 2008
3- Atlantico 18 mars 2015
4- On avait vécu l'HGH humaine imposée aux familles pendant des années pour des petites tailles en dépit de l'absence de données sur les effets à long terme...
5- Cancers de la prostate, poumon sein et colon)
6- Au labo sur des tubes à essais et non sur des patients )
7- Supprime la glande qui fabrique cette hormone physiologique qui permet entre autres la croissance
8- Drug Saf. 2004;27(6):369-82. Cancer risk following growth hormone use in childhood: implications for current practice. Ogilvy-Stuart AL1, Gleeson H
9- défavorable à l'apoptose (suicide naturel des cellules normales et bloqué dans le cancer ) ce qui favoriserait la survie de cellules endommagées génétiquement qui pourrait accélérer la carcinogenèse en d'autres termes l'apparition de cancers.
10- Carel JC, Ecosse E, Landier F, Meguellati-Hakkas D, Kaguelidou F, Rey G, et al. Long-term mortality after recombinant growth hormone treatment for isolated growth hormone deficiency or childhood short stature: preliminary report of the French SAGhE study. J Clin Endocrinol Metab. 2012;97:416–425. [PubMed]
11- AFSSAPS- Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé- 10/12/2010
12- Mise en place en octobre 2007, en partenariat avec la Direction générale de la santé (DGS) et l'Institut national du cancer (INCa).
13- Communiqué de presse de la Haute autorité de santé (HAS), 23 janvier 2012, http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1193992/hormone-de-croissance-chez-lenfant-non-deficitaire-maintien-au-remboursement-mais-la-vigilance-reste-de mise









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